Miles Davis, « Bye Bye Blackbird » – Album « ‘Round About Midnight »

Découvrez l’histoire du solo de Miles Davis sur « Bye Bye Blackbird » enregistré en 1956 pour l’albumRound About Midnight publié en 1957 sur le label Columbia.


Miles Davis : de Newport à Columbia

Dans son autobiographie, Miles Davis raconte comment une prestation au festival de jazz de Newport au sein d’une réunion All Stars de musiciens a changé le cours de sa carrière.

Standing ovation à Newport

Miles BIO

Tout a commencé à changer après mon passage au festival de jazz de Newport en 1955. C’était le premier festival monté par Elaine et Louis Lorillard. Ils ont choisi Georges Wein comme producteur. Georges venez, je crois, de Boston. Pour cette première édition, Georges a retenu Count Basie, Louis Armstrong, Woody Herman et des Dave Brubeck Puis il a monté un All Stars avec Zoot Zims, Gerry Mulligan, Monk, Percy Heath et Connie Kay, auxquels il m’a ensuite ajouté. L’orchestre avait joué un ou deux thèmes sans moi quand je les ai rejoint pour jouer pour “Now’s The Time”, en hommage à Bird. Puis est venu “Round Midnight”, le thème de Monk, que j’ai joué avec une sourdine : tout le monde s’est emballé. J’ai eu droit à une standing ovation. A ma sortie de scène, tout le monde me regardait comme si j’étais le roi ou aller savoir- les gens couraient vers moi pour me proposer des contrats d’enregistrement. Tous les musiciens présents me traitaient comme si j’étais un dieu, tout ça pour un solo qu’il m’avait fallu trimer pour apprendre, il y avait bien longtemps. Voir tous ces gens se lever brusquement et applaudir ce que j’avais fait, c’était quelque chose croyez-moi.

– Miles Davis, autobiography with Quincy Troupe

Miles Davis & Monk : Round Midnight, Bye Bye Blackbird

Suite à ce concert, Miles décrit la réaction du pianiste Thelonious Monk, compositeur de “Round Midnight” qui lui a valu sa standing ovation suite à son interprétation remarquable.

On s’est fait ramener à New York avec Monk et ça a été la seule occasion où on s’est engueulés. Dans la voiture il m’a dit que je n’avais pas bien joué Round Midnight ce soir-là. Peut-être, lui ai-je dit. Mais je n’avais pas non plus aimé ce qu’il avait fait derrière moi et ça, je ne lui avais pas dit, moi. Puis j’ai ajouté que les gens avaient aimé, eux, et que c’était pour ça qu’ils s’étaient levés pour applaudir comme ils l’avaient fait. J’ai fini en lui disant qu’il devait être jaloux.

En lui balançant ça, je plaisantais, je souriais. Mais il a dû penser que je riais de lui, que je me moquais, que je le mettais en boîte. Il a dit au chauffeur d’arrêter la voiture, et il est descendu. Sachant combien il pouvait être têtu – une fois qu’il s’était mis un truc en tête c’était fini, rien ne pouvait le faire transiger -, j’ai dit au chauffeur un truc du genre : “Qu’il aille se faire voir, il est dingue. Partons”. On a laissé Monk planté au ferry, et on est repartis pour New York. Quand j’ai revu Monk, c’était à croire que rien ne s’était produit. Il était comme ça parfois, vachement bizarre. On n’a jamais reparlé de cet incident.

– Miles Davis, autobiography with Quincy Troupe

George Avakian, Bob Weinstock : Columbia Vs Prestige

Miles raconte également l’histoire de sa rencontre avec George Avakian, producteur pour le label Columbia et de ses relations avec le label Prestige avec qui il était alors en contrat.

Après mon passage à Newport, les choses se sont mises à bouger pour moi. Georges Avakian, producteur de jazz pour les disques Columbia, a voulu me faire signer un contrat d’exclusivité. Je lui ai dit que ça m’intéressait à cause de tout ce qu’il m’offrait, sans mentionner mon contrat à long terme avec Prestige. Quand il l’a découvert, il a entrepris de négocier un accord avec Bob Weinstock, mais Bob a demandé beaucoup d’argent et plein d’autres trucs. Je dois admettre que ça commençait à me fasciner. Ces enfoirés parlaient d’argent, de gros sous, ça voulait dire que les choses prennent tournure. Ma position était bonne, les gens disaient du bien de moi partout, au lieu de me descendre. On m’a demandé de monter un groupe pour jouer au Café Bohemia*, un tout nouveau club de jazz de Greenwich Village.Tout cet intérêt positif, ça faisait du bien, beaucoup de bien.

– Miles Davis, autobiography with Quincy Troupe

* La photo qui illustre la pochette de l’album ‘Round Midnight a été prise au Café Bohemia.

Quintet historique avec John Coltrane

Miles Davis, ‘Round Midnight : double première

Cet enregistrement devenu historique cumule les “premières” :

  • premier enregistrement de Miles Davis pour le label Columbia
  • premier enregistrement du quintet historique constitué du saxophoniste John Coltrane, du pianiste Red Garland, du contrebassiste Paul Chambers et du batteur Philly Joe Jones.

Dans son autobiographie, Miles raconte également comment John Coltrane a intégré son quintet.

Alors, Philly Joe a amené John Coltrane. Je le connaissais déjà, depuis le gig que nous avions fait ensemble plusieurs années plutôt à l’Audubon. Ce soir-là, Sonny l’avait lessivé. Quand Philly m’a annoncé qui il amenait, je ne débordais donc pas d’excitation. Mais au bout de quelques répétitions, – le temps d’entendre qu’ils étaient drôlement amélioré depuis cette soirée ou Sonny lui avait donné chaud aux oreilles au cul -, il a dit qu’il devait retourner chez lui il est parti. Je crois que si nous ne nous sommes pas entendus dans un premier temps, c’est parce qu’à cette époque Trane aimait me poser des putains de questions sur ce qu’il devait ou ne devait pas jouer. Et merde. Pour moi, c’était un musicien professionnel, j’ai toujours voulu que ceux qui jouent trouvent eux-mêmes leur place dans la musique.

Il y avait donc à présent Trane au saxophone, Philly Joe à la batterie, Red Garland au piano, Paul Chambers à la basse, et moi la trompette. Et plus vite que je n’aurais pu l’imaginer, la musique que nous faisions ensemble est devenue incroyable. C’était si bon que ça me donnait des frissons, comme au public. merde, c’est c’est très vite devenu effrayant, tellement que je me pinçais pour m’assurer que j’étais bien là.

– Miles Davis, autobiography with Quincy Troupe

Miles Davis : deux labels, six albums classiques

‘Round About Midnight est le premier album d’une série d’enregistrements entre 1956 et 1958. Six albums seront publiés alternativement sur les labels Columbia et Prestige entre 1957 et 1960.

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Lorsque Miles Davis signe avec Columbia au cours de l’été 1955, il est encore sous contrat avec Prestige pour deux ans. Aussi convainc-t-il Bob Weinstock, le fondateur de Prestige, de l’intérêt de le laisser partir chez Columbia : le soutien promotionnel qui accompagnera la publication des premiers disques Columbia profitera immanquablement à ceux enregistrés avec Prestige.

Un arrangement est donc trouvé entre les deux maisons : Columbia peut commencer à enregistrer Miles, mais ne sortira les disques qu’à échéance du contrat avec Prestige, en mars 1957 ; dans l’intervalle, Prestige peut continuer à enregistrer le trompettiste.

We Want Miles – Miles Davis : le jazz face à sa légende (textuel, cité de la musique, 2009)

Les quatre albums Cookin’, Relaxin’, Workin’, Steamin’, Milestones sont issus de deux sessions d’enregistrements : les 11 mai & 26 octobre 1956.

Ils seront publiés respectivement en juillet 1957, mars 1958, janvier 1960 et juillet 1961 sur le label Prestige.

Milestones, enregistré février & mars 1958, publié six mois plus tard, en septembre 1958 est le dernier album réunissant le premier quintet historique augmenté du saxophoniste alto Cannonball Adderley.

Ce rythme effréné de sorties d’albums et les délais parfois très courts entre les séances et les sorties commerciales étaient choses courantes dans les productions de l’après-guerre. Le concept d’album, apparu en début des années 50 était alors limité à environ quinze à vingt minutes par faces. Ce format était imposé par le vinyle LP (“long play”) de l’époque, qui passera à plus de 70 minutes à l’ère du CD).

Une journée, voire même quelques heures étaient généralement suffisantes pour enregistrer un album complet. Deux ou trois prises suffisaient généralement aux formations régulières pour mener à bien leur séances. Il était alors fréquent de publier plusieurs albums distincts issus d’une même séance.

Lors des séances Prestige 1956, les premières prises sont enchaînées les unes aux autres. On a souvent souligné le caractère très spontané de ces séances. De fait, les mélodies sont exposées par Davis seul ou à l’unisson avec Coltrane. Pourtant, les modes de jeu de la rythmique inspirés de Ahmad Jamal montre un sens du détail dans la répartition des rôles et l’organisation des scénarios. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les entrées et les sorties du piano dans Woody’n You” et plus encore dans au “Oleo”.

– We Want Miles – Miles Davis : le jazz face à sa légende (textuel, cité de la musique, 2009)

Les montages étaient encore rares à l’époque et les techniques de re-recording à peine découvertes. Ces restrictions techniques diminuaient donc considérablement le temps et les frais de production. C’est pourquoi il était fréquent que des albums sortent parfois quelques semaines après leur enregistrement. 

C’est cependant un tout autre climat qui règne dans les studios de Columbia le 5 juin et le 10 septembre 1956 pour ‘Round About Midnight. Chaque morceau fait l’objet d’un travail de post-production permettant de sélectionner les meilleurs solos dans différentes différentes prises d’un même morceau pour les monter ensemble.

We Want Miles – Miles Davis : le jazz face à sa légende (textuel, cité de la musique, 2009)

Il arrivait également que des albums sortent, pour des raisons commerciales (le succès croissant d’un artiste) ou contractuelles, plusieurs années après leur enregistrement. C’est le cas pour cette série d’albums du quintet de Miles Davis sur le label Prestige.

On retrouve ce phénomène dans la discographie de John Coltrane, passé des labels Prestige, à Atlantic puis Impulse.

Les albums Giant Steps et Coltrane Jazz contiennent des titres issues des mêmes sessions. Même phénomène pour les albums Coltrane Plays The Blues, My Favorite Things et Coltrane’s Sound.

Retrouvez les informations détaillées concernant ces albums et sessions d’enregistrements la page discographie de John Coltrane sur Wikipedia.


Miles Davis improvisation on « Bye Bye Blackbird »

By Bye Blackbird est un standard écrit sur une trame harmonique composée majoritairement en Fa majeur. Une structure de 32 mesures de type ABCA’ permettant une grande liberté d’interprétation..

Tout comme sur Autumn Leaves”, Miles Davis développe son improvisation sur deux trames harmoniques complètes de trente-deux mesures. Son solo démarre sur les quatre dernières du thème. Cette longue anticipation (ou « pick-up ») crée un effet de surprise accentué par un “stop chorus” de deux mesures pendant lequel la section rythmique interrompt son accompagnement.

Miles Davis on Bye Bye Blackbird
Miles Davis improvisation on « Bye Bye Blackbird »

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Solo Transcription – Miles Davis – Bye Bye Blackbird – C instruments

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Miles Davis on « Bye Bye Blackbird » : Mélodie

Le langage utilisé par Miles sur cette improvisée est dans la lignée de “Autumn Leaves”, “Freddie Freeloader” ou “Someday My Prince Will Come”

Son vocabulaire mélodique est constitué principalement d’arpèges (mesures 1 à 20), de notes cibles des accords (toniques, tierces, quintes, septièmes). La trompette de Miles Davis est littéralement le prolongement de son chant intérieur. 

Miles Davis : intonation

Miles joue volontairement sur les approches de notes en utilisant les possibilités conférées par la trompette (glissements, appoggiatures). Il joue également avec les contrastes en accentuant différemment des notes identiques répétées (notes longues, courtes, accentuées…) selon leurs placements dans la mesure (mesures 35-36).

Miles ne cachait pas son admiration pour les grands interprètes de standards comme Frank Sinatra. Cette influence se ressent par ses qualités vocales remarquables transposées sur la trompette, instrument qui s’avère particulièrement sensuel sous les doigts de Miles.

Son sens du placement, sa sonorité et son intonation sont reconnaissables entre mille et cela n’est pas si évident à reproduire ! 

Miles et les chansons

À partir des années 1950, la chanson occupe une place particulière dans le répertoire de Miles. Il interprète les ballades avec la Harmon, la plus fermée des sourdine pour trompette, qu’il colle au micro pour obtenir ce timbre étouffé, éraillé, nasillard, si proche de celui de sa propre voix telle qu’elle est devenu après une ablation de polypes du larynx en octobre 1955, mais pas très éloigné non plus du timbre de voix de Billie Holiday. L’un de ses biographe, Jack Chambers, compare son interprétation des ballades à celles chantées par Billie Holiday : « C’est désolé, douloureux, mais ça ne fait jamais dans l’auto-apitoiement. » Là réside probablement la principale différence entre le romantisme de Chet Baker et la distance adoptée par Miles, qu’accentuent son sens du silence, sa faculté de remodeler les mélodies, voir de les déchiqueter en motifs altiers, incisifs, à la limite de l’abstraction.

We Want Miles – Miles Davis : le jazz face à sa légende (textuel, cité de la musique, 2009)

Miles Davis : phrasé

“Bye Bye Blackbird” est le plus souvent joué “medium swing” et Miles ne déroge pas à la règle. Le quintet l’interprète à un tempo d’environ 125 à la noire où les qualités de phrasés et d’improvisateurs sont, contrairement aux apparences, mis à rude épreuve.

Les différentes décompositions de la mesure et du temps permettent un très grand nombre d’approches rythmiques possibles. Miles, lui, privilégie les phrasés en débits de noires ou croches en jouant sur l’élasticité des cycles harmoniques, de la mesure et du temps.

Notes tenues, accentuations, jeu sur les temps (noires consécutives); alternances fréquentes de noires et de croches : Miles arrive à nous faire oublier la notion de pulsation avec un phrasé à la fois varié, précis et élastique. Miles est un maître du placement rythmique, tout en élégance et retenue, là où beaucoup de musiciens seraient tentés par des débits rythmiques resserrés et virtuoses (débits de triolets ou doubles croches, jeu “double time”).

Miles et les batteurs

L’espace et le silence qui sont au cœur des solos de Miles participent en effet d’une polyrythmie exigeant un dialogue constant avec le batteur. (…)

«  Quand on fait des pauses, c’est pour laisser la batterie s’exprimer à fond. ».

Sur ce point, le choix de Philly Joe Jones n’est pas fortuit. Figure de premier plan parmi les grands continuateurs de la révolution bebop opéré par Kenny Clarke dans les années 1940, il accentue l’indépendance des différents éléments de la batterie. En outre, sa conception du tempo est en complète sympathie avec celle de Miles. Ce qui fait dire au batteur : « Je ne pouvais jamais le perdre, et il ne pouvait jamais me perdre. Je savais toujours où il était et il savait toujours où j’étais. »

We Want Miles – Miles Davis : le jazz face à sa légende (textuel, cité de la musique, 2009)

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